SOIRÉES

 

Les mots en héritage

 

 

Table-ronde organisée en de l’Association France-Syrie

au théâtre de la Maison des Cultures du Monde, le 12 février 2004

 

 

 

Cette table ronde fut consacrée aux emprunts lexicaux dans la plupart des domaines, y compris l’onomastique, aux langues araméenne et arabe du Proche-Orient, en particulier de la Syrie.

Christian Lochon devait, en présentant le programme de cette soirée et ses deux collègues, le Professeur Mansour Hadifi, directeur du Centre Culturel Syrien à Paris, et M. Roland Laffitte, fondateur du SELEFA et professeur, rappeler les différentes étapes de ces emprunts, dès l’antiquité, avec l’invention de l’alphabet à Ougarit, et son métalangage, les noms de dieux et de continents (« Europe »), les toponymes d’origine phénicienne comme « Barcelone » (de « Barka »), l’astronomie, puis au Moyen-Âge, grâce à l’Andalousie, à l’Empire Abbasside de Bagdad et aux croisades ; ensuite sous l’Empire Ottoman qui légua aux langues européennes un grand nombre de mots turcs mais aussi persans, et enfin à l’époque coloniale.

Le chercheur Manar Hammad dans ses « Racines du Proche-Orient arabe »1 a montré qu’en ce qui concerne les prénoms, les Palmyréens trilingues se faisaient appeler « Wahballat », comme le mari de Zénobie, ou Athenodoros. Cette manière de procéder sémantiquement se retrouve dans les prénoms arabes et français ; Abdallah ou Théodore ou Théodule, Oussama, Dargham ou Assad et Léon ; Luc et Nour ; Warda et Rose ; Ange ou Angèle et Malak ; Adel et Juste ; Valentin et Salim, Stéphane ( «couronné » en grec) et Tajeddine. Les familles mixtes n’auraient plus de problèmes à trouver un double prénom pour leurs enfants2. C’est ainsi que la plupart des prénoms de culture chrétienne en France, viennent de l’araméen : Elie, Antoine , Michel, Emmanuel, Réjane ou Régine, Suzanne (« Lys »), Madeleine, Lazare, Marguerite, etc…Déjà en 1985, l’Institut du Monde Arabe avait édité une brochure « Nos ancêtres les Arabes », où les auteurs rappelaient tous les registres dans lesquels s’étaient effectués des emprunts (théologie, philosophie et vie courante, marine et guerre, etc…) ; ces fondements d’une culture commune, mais cachée, souterraine, ne constituent-ils pas une manière commune de conceptualiser ?

Ensuite, M. Mansour Hadifi a étudié les familles morphologiques construites autour des toponymes syriens : les villes (Alep, Apamée, Damas, Homs, Ougarit, Palmyre, les fleuves (le Barada, l’Oronte, l’Euphrate) à partir du dépouillement du « Trésor de la Langue Française ». Le découpage des articles de cet important ouvrage permet d’examiner les définitions, les exemples, les syntagmes et les paragraphes qui conduisent à esquisser les rapports entre vocabulaire et culture. Citons par exemple l’entrée « Syrie ».

Syrie donne deux adjectifs et substantifs Syriaque et Syrien, mais utilisables dans des contextes différents.

Deux « indicateurs stylistiques limitent les emplois de syriaque qui relève soit de l’histoire ancienne, soit de la linguistique. Comme adjectif et substantif, syriaque concerne l’ancienne Syrie. Le passé se retrouve dans les emplois en linguistique : le syriaque est une langue ancienne, mais qui subsiste comme langue liturgique, d’où les syntagmes avec chrétien, clergé, culte, prêtre, religion, etc..

L’adjectif et le substantif syrien ont des emplois plus variés, que la consultation par « paragraphe quelconque » explore dans l’ensemble d’un article, même dans la rubrique de diachronie avec étymologie et histoire. Sont ainsi signalés :

-  des mots tirés de l’arabe syrien, isolés par rapport à ceux qui, en plus grand nombre, viennent de l’arabe en général, ambubaïes, jacinthe, mandille, taboulé,

-  des objets typiques du pays, aba (casaque), la lettre aleph, la kuffieh (pièce de toile enroulée sur la tête,

-  des habitudes religieuses, l’anaphore (partie centrale de la messe), le rite syrien (en langue syriaque), etc…

Quelques éléments culturels se manifestent ainsi.

Enfin, M Roland Laffitte, qui avait déjà fait l’objet d’un compte-rendu de sa conférence précédente « Des noms arabes pour les étoiles » (cf FPA de novembre 2003), devait renouveler notre information sur le sujet :

Si glyptique ouest-sémitique livre de nombreuses représentations célestes, des preuves que les peuples de la Syrie antique possédaient leurs propres représentations célestes sont données par une liste lexicale datée vers 2500 av. é.c. qui nous livre le nom éblaïque des Pléiades, soit Kà-ma-tù, que l’on retrouvera d’ailleurs dans la Bible sous la forme KÌmah ; une coupe astrale araméenne du VIIIe siècle publiée dans les années 1960 par R. D. Barnett qui montre la figure d’une tête de taureau accompagnée de l’inscription R’Sh.ShR = Ra’sh Shorâ « la Tête du Taureau », figure qui est probablement à l’origine de constellation grecque de même nom attestée chez Homère et correspondant aux Hyades. Mais L’origine du nom de la constellation de la Vierge est sans doute la contribution la plus éloquente de la Syrie que nous connaissions actuellement.

Partie de Babylone sous le noms de Shunbultu « l’Épi » et représentée par la figure la déesse Shala, parèdre du dieu Adad, tenant un épi d’orge à la main, cette figure, connue dès le IXe siècle en Syrie par la statue bilingue (akkadien/araméen) de Tell Fekhrye, fut sans doute acclimatée localement sous les traits de la parèdre locale de Hadad, soit ‘Attar. Or nous savons que sa forme ougaritique ‘Anat, que l’on représente ailée, a pour épithète Batûlat « la Vierge » et constitue le prototype proche-oriental de la vierge féconde et nourricière. Nous pouvons suivre le chemin de cette déesse vers la Grèce : elle emprunte le passage par Chypre où elle est apparaît, au VIe siècle, avec Ba’l, épithète de Hadad, à Idalion, puis nous la trouvons au siècle suivant, à Lapéthos, assimilée à Athena, elle-même vierge et, au moins au départ, ailée. C’est à juste titre qu’Eratosthène soupçonnait à Parthenos, la figure astronomique de la Vierge, une origine orientale.

La descendante de ‘Anat/‘Attar dans la Syrie séleucide est Atargatis dont le nom agglomère cAtar (soit Ishtar = Astarté) + cAttâ, et elle hérite naturellement de ses traits, notamment celui de parthenos = vierge que l’on trouve notamment sur une inscription de Beroea/Alep du début de l’ère chrétienne. C’est d’une part sous les traits d’une Tychè, déesse de l’abondance, qui est une des représentations d’Atargatis que l’on peut rencontrer la figure de la Vierge dans les zodiaques sémitiques, notamment à Zafar, au Yémen. D’autre part le nom le nom araméen de la constellation est Betultâ « la Vierge » qui vient en droite ligne de Syrie et n’a nullement besoin d’être expliqué par une traduction du grec, tel qu’on le trouve dans les manuscrits de la mer Morte, à Qumrân, puis au VIIème siècle chez Sévère Sebokht, évêque de Qenneshrin, à côté du syriaque Shebeltâ « l’Épi » qui n’est tien d’autre que l’akkadien Shumbultu et que l’on retrouve dans l’arabe al-Sunbula.

 

NOTES

 1 Manar Hammad, Aux racines du Proche-Orient arabe, Paris, Geuthner 2003.

2 Younous et Nefissa Geoffroy, Le livre des prénoms arabes, Al-Bouraq, Beyrouth, 2000.

 

 

 

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